La récompense ultime de s'être fait extirper de son lit a horaire indu, c'est la visite d'un festival en voie de disparition, un ballet de jonques, sampans et pirogues, qui interprètent un répertoire ancestral et journalier au son de l'orchestre de longues hélices qui plongent dans les flots bouillonnants du bras du Mékong, le marché flottant.

Sous les lueurs rougeoyantes de l'aube, paysans sur leurs pirogues et grossistes tentent de trouver un accord de négociation pour les produits suspendus comme des enseignes au bout de longues perches, indiquant la spécialité de chaque bateau.

Marchés flottants en voie de disparition (l'un d'eux vient juste de partir dans les nimbes des souvenirs), les rescapés tirant leur rentabilité  des visites touristiques.

Difficile de faire la grasse matinée dans le Delta du Mekong, comme dans tout le Vietnam: Coqs et grenouilles, chien et chats (di vao noi!!!! m..... quoi!) entament un grand concerto symphonique cacophonique des plus irritants,  des potron-minet (ou potron-toutou)

Alors, ne pas rester  avec l'oreiller sur les oreilles, mais profiter du moment de magie de la journée, celui ou les ombres des cocotiers naissent sur l'arroyo, ou les rouges de l'aurore, calment les bêtes, caressent les belles rameuses, percutent les pirogues parties au marche flottant. Car c'est la bonne heure, celle ou les touristes assommés par le décalage horaire, roupillent, ou les maraichers ont pris le sampan pour vendre leurs ananas, pamplemousse, légumes au bateau du grossiste, sous la vigilance des yeux de baleine.

Et l'on se fout que, sur la barque, la planche en bois qui nous sert de siège, soit inconfortable, que le moindre mouvement fait giter l'ensemble, que nous sommes chahutés par la trainée des autres usagers que nous croisons et que le moteur nous joue un succédané de la Chevauchée des Walkyries. Ah?.......Wagner n'est jamais venu ici?.... Vous êtes surs?....

Notre stoïque sampanier guide sa barque a travers les jacinthes d'eau, des palmiers qui avancent leurs racines au bord du canal, il tente de se frayer un chemin vers les passages suffisamment profonds et  se remémore l'itinéraire a travers le labyrinthe inextricable de ramifications du Mékong.

Au fil de l'eau, rencontre avec des navigatrices indolentes qui manient leurs longues rames comme des aiguilles a tricoter et de jeunes pilotes pressés, menant fort leurs embarcations au moteur a l'échappement libre.

Le Delta du Mekong s'étale sur 39000 km2 traversés par 9 bras du Mekong et de multiples canaux au milieu desquels s'affaire une population de cultivateurs de riz,  fruits et légumes et d'éleveurs de crevettes et de poissons, de transformateurs de noix de coco, de sucre de palme, soit   40% de la consommation alimentaire de la totalité du Vietnam.

L'essence même de ce monde unique ne se trouve plus au bord des grands bras du fleuve, mais dans l'enchevêtrement de ces petits arroyos, dissimulés sous des voutes de palmes.

Monde en voie de disparition, qui sera anéanti par le changement climatique et par le désir des habitants a vivre comme des terrestres, suite a la construction des ponts qui mènent au supermarché de proximité, au karaoké et au night club,....a l'hôpital.

La tendance est donc de troquer le sampan par la moto   et les petits marchés flottants disparaissent peu a peu ou perdent leur identité.

Alors, nous avons largement profité de cette agonie, pour nous glisser entre les palmiers et les vergers, au lever du soleil et sous les ombres de soirées tropicales dans des embarcations étroites simplement bloquées de temps en temps par les jacinthes d'eau, car, ici, les parasites sont de bel atour. Accroupies a la Vietnamienne, les femmes lavent vaisselle et tissus, les hommes prennent le thé, les enfant piaillent sautent et nagent dans les eaux qui s'inversent au gré des marées, chacun nous bombardant, au passage, de hello rieurs.